D'autant qu'il ne s'en souvienne, Song Ho Joo n'a jamais aimé la solitude.
Né à Séoul le 10 février 1987, il grandit dans une famille plutôt typique, bien que relativement aisée : son père travaillait au sein d'une banque et sa mère dans une agence de mannequinat. Lorsqu'il vint au monde, une grande sœur de cinq ans son aînée - Hong Nam - l'attendait déjà avec impatience et la famille entière fut tout à fait ravie d'accueillir ce nouveau petit être. Autour de lui, les visages qui l'observaient étaient déjà traversés de sourires radieux, et le petit Ho Joo laissa échapper son premier éclat de rire avant même d'être en âge de pouvoir comprendre le bien-être que lui procurait la vision de ses proches heureux.
Il était bien entouré, ses parents et sa sœur l'aimaient énormément, et le petit garçon qu'il était n'avait absolument aucun mal à se faire apprécier de tous. Tout allait pour le mieux.
Durant son enfance et jusqu'à ses dix ans, Ho Joo passait le plus de temps possible avec sa grande sœur. Jeux en tous genres, lecture à deux, apprentissages, Hong Nam se pliait avec joie aux demandes d'un petit frère parfois insupportablement collant : il avait ce petit pouvoir inexplicable sur elle, de la faire craquer quoi qu'il lui demande. Bien que cinq années séparaient les deux enfants, elle ne sembla jamais considérer cela comme quelque chose de problématique : son petit frère pouvait bien se comporter comme un insupportable bambin braillard s'il le voulait, il n'en restait pas moins son ami le plus cher et le plus proche.
Les mémoires de ce temps-là que Ho Joo chérissait le plus devaient probablement être celles où sa sœur lui racontait des histoires. Dans ces contes, elle lui décrivait les miracles que pouvaient faire des êtres aux dons extraordinaires, capables de sauver des vies grâce à leurs pouvoirs merveilleux. C'est elle qui fut la première à lui ouvrir les yeux à propos de l'existence des surhumains et à éveiller son intérêt pour eux, un souvenir qui le rendait quelquefois nostalgique à l'idée qu'elle n'ait pas vécu assez longtemps pour voir son propre pouvoir se dévoiler.
La famille Song n'ayant jamais réellement eu le moindre contact avec de véritables surhumains avant cela, leurs parents n'aimaient pas qu'on raconte ce genre d'histoires à Ho Joo. D'après eux, ces êtres à part n'avaient pas leur place dans la société mélangés aux gens « normaux », et ils craignaient l'idée même de l'existence d'humains aux pouvoirs exceptionnels. Ainsi, il n'était pas rare de les voir couper court aux histoires de leur fille, pour lui demander de ne pas induire son frère en erreur concernant ces gens : ils devaient être craints et non admirés, ce qu'elle faisait était mauvais pour le bon développement de Ho Joo, disaient-ils.
C'est probablement à cette époque-là que Hong Nam rencontra Choi Young Jae.
Jusqu'à ses treize ans, aucun fait notable ne vint perturber la petite existence tranquille de Ho Joo. N'étant pas du genre à tenir en place, ses parents l'inscrivirent rapidement à des cours de théâtres pour canaliser son trop plein d'énergie, activité qu'il se mit rapidement à adorer. Il était un adolescent solaire et volontaire, avec plus d'amis qu'il ne lui en fallait et bien qu'il ne pouvait plus passer autant de temps avec sa sœur depuis que celle-ci était entrée au lycée, leur relation se portait toujours aussi bien.
Vraiment, tout se passait pour le mieux dans la petite vie agitée du jeune garçon hyperactif.
Et puis elle partit.Pendant une année entière, Hong Nam disparut totalement. Un matin, elle avait simplement fait ses valises, avant de se volatiliser sans la moindre explication pour sa famille. Ho Joo eut beaucoup de mal à comprendre ce geste et durant cette longue année dans l'ignorance la plus totale, il en voulut énormément à sa sœur de ne pas lui avoir dit ne serait-ce qu'un simple au revoir avant de quitter le cocon familial.
Mais le jeune garçon qu'il était fit de son mieux pour garder le sourire malgré tout, tâchant de ne pas inquiéter ses parents et ainsi peut-être leur remonter quelque peu le moral. Les pauvres ne savaient pas plus que lui où leur fille était partie, et ce départ aurait transformé la maison familiale en un lieu d'un silence et d'une tristesse affolante si Ho Joo n'avait pas été là pour les combler de ses éclats de rires.
Ce n'est qu'une longue année plus tard que sur le pas de leur porte, un jour, Hong Nam réapparut. Près de la grille de l'entrée, un petit paquet dans les bras, son petit ami Young Jae à ses côtés. Et tout fut expliqué. Young Jae s'était révélé être un surhumain, il avait dû partir à Busan Heroes High et Hong Nam avait décidé de le suivre. Ils étaient maintenant mariés et avaient fêté quelques mois plus tôt la naissance de leur fille.
C'est ce jour-là que Ho Joo devint à la fois oncle et parrain du petit paquet qui allait apporter le plus de joie dans sa vie : Mi Ran.
Si le jeune garçon fut ravi de toutes ces bonnes nouvelles qu'on lui annonçait, il n'en fut pas de même pour ses parents. Non. Eux, étaient tout simplement furieux. Hong Nam était trop jeune, Young Jae était dangereux et leur fille était une erreur monumentale, voilà les mots qui furent criés entre les murs de la maison. Jamais telle dispute n'avait éclaté au sein de la famille Song, et jamais elle ne redeviendrait le havre de paix d'antan après cela.
Les années qui suivirent furent compliquées pour Ho Joo. Sa sœur était retournée s'installer à Busan avec sa petite famille, ses parents refusaient d'entendre parler d'elle et malgré la communication qu'ils gardaient à distance, un éloignement se creusait inévitablement entre eux. Chaque coup de fil qu'il passait à Hong Nam était comme une bouffée d'oxygène pour lui, à l'entendre lui raconter tout ce que son mari était en mesure de faire avec son pouvoir merveilleux et à vanter la beauté de son adorable petite fille.
Mais elle lui manquait.
Il s'ennuyait terriblement, maintenant qu'elle vivait sa propre vie.
À seize ans, Ho Joo fut repéré par l'agence dans laquelle sa mère travaillait et après quelques premiers essais plus que prometteurs face aux appareils photos, on l'engagea rapidement en tant que mannequin, dans l'espoir de le voir évoluer longtemps dans ce milieu. Durant deux ans, il parvint à concilier mannequinat et études sans trop de problèmes, mais au détriment de ses relations qui commencèrent à se dégrader autour de lui.
Il n'avait plus le temps d'appeler sa sœur aussi souvent qu'auparavant, et ses amis lui donnaient l'impression de doucement se transformer en simples connaissances, en raison du manque de temps qu'il avait à leur accorder. Pour quelqu'un comme Ho Joo, cette période fut extrêmement difficile à vivre : il avait l'impression de ne plus être lui-même, et chacun de ses sourires lui donnait l'impression d'être faux. Lorsqu'on venait lui parler, ça n'était plus que pour pouvoir s'afficher avec un visage connu, on ne s'intéressait plus à la personne derrière l'objectif.
Et il ne faisait rien pour arranger cela.
Ayant l'impression de lentement se transformer en quelqu'un qu'il ne reconnaissait et qu'il n'estimait plus, Ho Joo décida d'aller faire son service militaire dès sa majorité atteinte.
Là-bas, il se sentit enfin utile et tissa même des liens avec certains de ses camarades : ses sourires francs et sa bonne humeur communicative étaient enfin de retour. Il en profita même pour reprendre contact avec sa sœur par le biais de lettres et bien que leurs échanges restaient plutôt limités, cela lui permit au moins d'avoir des nouvelles de sa nièce qui grandissait sans cesse.
La dernière lettre qu'il reçut de sa part fut accompagnée d'une photo de la petite famille heureuse, prise le jour des six ans de Mi Ran.
Et puis tout s'écroula.Deux mois avant la fin de son service militaire obligatoire, Ho Joo reçut une lettre lui annonçant le décès de sa sœur et de son mari dans un terrible accident de voiture. Cette nouvelle le déchira totalement. Il eut l'impression de sentir son cœur s'ouvrir en deux, de vivre un véritable cauchemar et refusa d'accepter la réalité de la nouvelle jusqu'au jour de leurs funérailles.
Ce jour venu, la première chose qu'il fit fut de se précipiter aux côtés de sa nièce en pleurs. La pauvre enfant comprenait à peine ce qu'il se passait, demandant sans cesse aux gens qui l'entouraient où se trouvaient ses parents, et pourquoi elle ne pouvait pas rentrer à la maison. C'est probablement ce qui fit le plus de peine à Ho Joo, qui ne savait comment réconforter la petite. Comment le pouvait-il ? Lui-même avait encore du mal à réaliser la tragédie qui l'avait frappé, et la seule chose qui lui permettait de tenir debout était l'envie d'être aux côtés de Mi Ran pour l'aider à traverser cette épreuve.
À ce moment-là, avant même de savoir qu'on lui avait confié la garde de cette précieuse enfant, Ho Joo savait déjà qu'il ferait tout pour combler le vide qui venait de se créer dans sa famille. Il savait qu'il ne remplacerait jamais les parents de la fillette, mais peu lui importait : le bonheur et le bien-être de sa nièce étaient maintenant les seules choses qui lui importaient.
Sortant tout juste de ses années de service, Ho Joo ne perdit pas de temps et déménagea immédiatement à Busan avec Mi Ran, pour qu'elle puisse retourner dans la maison où elle avait grandi. Là-bas, il dut s'occuper de ranger les affaires de sa sœur et de son conjoint, le cœur serré à la réalisation de la froideur que lui inspirait cette maison débordant d'affaires, et pourtant si cruellement vide.
Durant l'année qui suivit, la nouvelle petite famille qu'il formait avec sa nièce se remit doucement sur pieds, Ho Joo ayant reprit son travail en tant que mannequin au sein de l'une des succursales de son ancienne agence, basée cette fois-ci à Busan. Chaque jour, le jeune homme faisait de son mieux pour rendre la vie de Mi Ran plus festive, pour ne pas qu'elle se sente délaissée. Il était toujours aussi atterré de savoir sa sœur disparue à jamais mais le cachait derrière des sourires plus vrais que nature, pour ramener la joie dans le cœur de sa nièce.
Comme sa sœur le faisait avec lui-même lorsqu'il était plus jeune, il se mit à lui conter les récits à propos des surhumains qu'il avait entendu enfant. Plus il lui racontait ces histoires, plus il voyait le sourire de sa nièce devenir sincèrement radieux. Chaque histoire le faisait retomber en enfance, et Ho Joo avait l'impression de faire revivre sa sœur en se remémorant ce qu'elle avait pu lui dire lorsqu'il était plus jeune.
Quelque part, cela lui permettait de ne pas avoir à dire totalement adieu à Hong Nam : elle était toujours là.
Ho Joo n'aurait jamais pensé un jour devenir comme les héros de toutes ces histoires.
Et pourtant, peu après son vingt-et-unième anniversaire, un événement d'apparence anodin déclencha quelque chose en lui, révélant un pouvoir qu'il ne se connaissait pas.
C'était une nuit comme une autre alors qu'un orage avait commencé à éclater que le jeune homme fut réveillé par les cris et les pleurs terrifiés de sa nièce dans la pièce adjacente. Paniqué à l'idée qu'elle puisse avoir un problème et apparemment pas assez réveillé pour se rendre compte de ce qu'il était en train de faire, Ho Joo se dirigea instinctivement vers la source des pleurs et sauta de son lit pour se précipiter vers le mur derrière lequel Mi Ran se trouvait.
Mais au lieu de se heurter à un béton froid et dur, il le traversa.
Pendant un an, Jo Hoo fit de son mieux pour cacher son pouvoir à son entourage. En fait, il n'était pas totalement certain de bien réaliser qu'il avait toujours été un surhumain sans le savoir. Mais son pouvoir commençait à se déclencher au hasard de plus en plus régulièrement, au point où son agence de mannequinat finit par le licencier pour "faute professionnelle".
Malgré les anciens cours de son beau-frère qu'il avait pu trouver dans son logement pour essayer de comprendre ce qu'il lui arrivait, il dut se rendre à l'évidence : il ne pourrait pas s'en sortir sans se rendre à Busan Heroes High.
À vingt-deux ans, il fit donc sa rentrée à la BHH. Là-bas, un monde inconnu s'ouvrait à lui, et Ho Joo se découvrit une véritable passion pour l'histoire des surhumains, ainsi que la théorie de l'évolution de leurs pouvoirs. Tous les soirs, il racontait ce qu'il avait pu apprendre durant la journée à sa nièce, qui l'écoutait toujours avec des étoiles dans les yeux. Il se gardait cependant de lui révéler l'amplitude de son incompétence concernant la mise en pratique de son pouvoir, celui-ci lui ayant valu de finir dans des situations délicates plus d'une fois.
Il était réellement heureux à présent, comme si sa part surhumaine avait décidé de combler le vide qu'avait provoqué la mort de Hong Nam.
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Pourquoi Ho Joo n'était-il pas devenu professeur à la BHH plus tôt ?
Par honte probablement, sachant la maîtrise de ses pouvoirs bien inférieure à la majorité des surhumains de son âge. Et pourtant, il était devenu un véritable expert concernant la théorie des pouvoirs, tant et si bien qu'il pouvait prétendre à enseigner cette matière à présent.
Voilà pourquoi il se trouvait à nouveau face à cet établissement aujourd'hui, le sourire aux lèvres et les jambes secouées de légers tremblements d'excitation. À côté de lui, une jolie Mi Ran maintenant âgée de seize ans se tenait, moqueuse.
Elle riait gentiment à la vision de son oncle, qui se comportait comme un véritable enfant devant un étalage de bonbons. Cet homme avait beau avoir atteint la trentaine, il ne semblait pas mûrir le moins du monde lorsqu'on le voyait de la sorte : elle n'arrivait tout simplement pas à croire qu'il allait bientôt devenir l'un de ses professeurs à la BHH.
Ho Joo posa sa main sur l'épaule de la jeune fille, avant d'aspirer un grand bol d'air de manière dramatique. Lorsqu'il planta ensuite ses yeux dans les siens, son regard traduisait une impatience non dissimulée.
- Prête ?Qu'elle le soit ou non, lui l'était. Et il avait sincèrement hâte de se retrouver à nouveau entourés de surhumains, pour cette fois-ci tenter de les aider grâce à ses connaissances.
Le sourire qu'il affichait actuellement aurait difficilement pu être plus rayonnant.